Le nano-argent libéré par les produits de consommation présente un potentiel toxique chez l'homme et dans l'environnement, a averti le Comité européen scientifique des risques sanitaires malgré le manque de données disponibles.
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Utilisé pour ses propriétés anti-bactériennes et anti-mauvaises odeurs, le nanoparticule d'argent est présent dans les produits de consommation et de soins médicaux ayant un impact potentiel toxique. © sudok1, Richard Villalon, Constantinos, bertys30 |
Le Comité scientifique des risques sanitaires émergents et nouveaux de la Commission européenne (CSRSEN) soumet jusqu'au 2 février 2014 à
consultation publique son avis préliminaire visant à évaluer les effets des
nanoparticules d'argent (nano-argent) sur la sécurité, la santé et l'environnement ainsi que leur rôle dans la résistance antimicrobienne.
Estimant qu'il "subsiste certaines inquiétudes concernant les nanoparticules d'argent", la Commission européenne a mandaté en 2012 le CSRSEN sur ce projet d'avis scientifique. Cette saisine du comité intervient dans un
contexte réglementaire européen visant à renforcer la sécurité des
nanomatériaux mis sur le marché de l'UE. La Commission européenne a adopté en octobre 2012
une communication soulignant qu'il faut "soumettre les nanomatériaux à une évaluation des risques, qui devrait être réalisée au cas par cas, sur la base d'informations pertinentes. Les méthodes actuelles d'évaluation des risques sont applicables, même si des travaux sur certains aspects sont encore nécessaires."
Les nanoparticules d'argent (NP-Ag) seront évaluées dans le cadre du
règlement Reach de l'UE sur les substances chimiques. La Commission envisage en effet de modifier certaines des annexes du règlement concernant les nanomatériaux, présents dans des substances ou des mélanges, et a encouragé l'Agence européenne des produits chimiques (Echa) à élaborer de nouvelles orientations pour les enregistrements après 2013. Le
règlement biocides, entré en vigueur le 1er septembre 2013, prévoit également que les nanomatériaux entrant dans leur composition soient soumis à autorisation et étiquetés. Une procédure qui vise notamment le nano-argent utilisé comme bactéricide.
Une utilisation généralisée dans les produits de grande consommation
Dans
son avis rendu le 12 décembre 2013, le CSRSEN rappelle que les nanoparticules d'argent, inférieures à 100 nm (nanomètres), sont en effet utilisées pour leurs propriétés antibactériennes et anti-mauvaises odeurs dans les produits de grande consommation, allant des soins médicaux (bandages, cathéters, amalgames et
ciments dentaires) aux textiles de sport, en passant par la lessive, les déodorants ou les cosmétiques. Les nanoparticules d'argent représentent "moins de 50% de l'argent utilisé en tant que biocide dans les produits de consommation", précise-t-il.
Si l'utilisation du nano-argent est "généralisée" et "croissante", elle est source d'exposition "potentiellement toxique" des consommateurs et de l'environnement, via la libération de l'argent ionique (ions d'argent) par le nanomatériau, conclut le comité scientifique. "Dans de nombreuses études, la libération de l'argent dissous a été suggérée comme étant la principale cause de la toxicité chez l'homme et dans l'environnement".
Des
effets additionnels causés par "l'utilisation généralisée et à long terme" du nano-argent "ne peuvent pas être exclus", affirme le Comité.
L'exposition humaine au nano-argent est directe via
la nourriture, les contacts avec la main, la bouche et la peau, précise le comité : "Lorsque les utilisateurs entrent en contact direct avec des produits contenant des nanoparticules d'argent comme par exemple les liquides et les aérosols, l'exposition se produit immédiatement".
Chez l'homme, des études in vivo ont montré des
risques d'effets toxiques du nano-argent provoquant une sensibilité du système immunitaire par voie intraveineuse, ainsi que des risques d'allergies au contact de restaurations dentaires contenant ces nano. Les études analysées par le Comité semblent à première vue démontrer "une toxicité faible pour l'homme".
In vitro, plusieurs études menées chez des rats ont quant à elles démontré "des effets génotoxiques à court terme" des nanoparticules d'argent, cite le Comité. Des études ont également prouvé un lien entre le nano-argent et des hépatites toxiques chez l'animal.
Un manque criant de données écotoxicologiques
Pour déterminer le niveau d'exposition des consommateurs, plus de données demeurent toutefois "nécessaires" concernant les concentrations du nano-argent dans le produit, "la taille et la forme dans laquelle il est présent (agrégats, agglomérats, revêtement) et la probabilité de libérations d'ions d'argent à partir des produits", souligne le CSRSEN. Une évaluation "détaillée" de l'exposition professionnelle au nano-argent est également "nécessaire pour effectuer une évaluation des risques."
L'exposition des consommateurs dépend "de la formulation, de l'utilisation et de l'élimination" des produits médicaux et de consommation contenant du nano-argent, souligne le CSRSEN. D'autant que ces nano de provenance domestiques et industrielles sont le plus souvent collectés dans des systèmes d'égouts et transportés vers des stations d'épuration des eaux usées d'où ils peuvent pénétrer dans l'environnement aquatique ou le sol par l'intermédiaire des
boues d'épuration et avoir des effets sur les organismes aquatiques et éventuellement sur les humains. La libération du nano-argent à "des concentrations toxiques pour certaines espèces est possible", indique le Comité.
Concernant les risques de résistance bactérienne générés par l'utilisation des nanoparticules d'argent, "aucune documentation n'est à ce jour disponible, ce qui représente une grave lacune des connaissances",a pointé le CSRSEN. Des études sont donc "nécessaires".
Annoncée pour 2013, une évaluation des risques relative au nano-argent est prévue par l'Agence française de sécurité sanitaire (Anses). Cette dernière vient de publier un premier bilan du dispositif national de
déclaration des substances à l'état nanoparticulaire. Environ 500.000 tonnes de nanoparticules ont ainsi été mises sur le marché en 2012 dans l'Hexagone.
Rachida Boughriet
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