Laurent Radisson
Les nanotechnologies se développent à la vitesse "grand V". Mais l'évaluation des risques se révèle extrêmement difficile. Témoignage d'un chercheur.
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La conférence finale du projet Era- Envhealthd, qui rassemble 16 organismes publics dans 10 pays ainsi que des représentants des parties prenantes dans le domaine de la santé-environnement en Europe, s'est tenue les 13 et 14 juin 2012 à Paris. Son principal objectif était d'améliorer la coordination de la recherche européenne en santé-environnement.
Parmi les grands thèmes prioritaires sur lesquels les décideurs politiques vont devoir prendre position figurent les nanotechnologies. Une contribution intitulée "La nanotechnologie est-elle maîtrisable?" du Docteur Vyvyan Howard de l'Université d'Ulster (Royaume-Uni) a été présentée à cette occasion.
Des technologies en développement rapide
Les nanotechnologies se développent très rapidement actuellement. "Les substances contenant des nanoparticules deviennent très réactives, adoptant des propriétés nouvelles ", souligne Marco Martuzzi, représentant du Bureau régional de l'OMS pour l'Europe, qui a présenté la contribution du Dr Howard.
Les applications des nanotechnologies sont donc nombreuses et "plus ou moins utiles", dans des domaines aussi divers que la médecine, la pharmacie et la para-pharmacie (crèmes solaires, etc.), la purification de l'eau ou l'habillement (chaussettes anti-odeur, etc.).
Mais les vertus de ces nouvelles technologies sont contrebalancées par les risques que peuvent présenter les nanoparticules pour la santé humaine. "Les deux questions qui se posent, indique Marco Martuzzi, sont les suivantes : où vont les nanoparticules dans le corps humain et quelles en sont les conséquences ?".
Traverser la barrière hémato-encéphalique
"Il a été prouvé que les nanoparticules peuvent s'immiscer dans l'organisme de différents façons, y compris par voie cutanée, digestive ou encore par inhalation, écrit Vyvyan Howard. Elles peuvent alors circuler dans le corps, et migrer vers divers organes, ou traverser la barrière hémato-encéphalique". Marco Martuzzi confirme que, lorsqu'elles sont de très petite taille, les nanoparticules peuvent accéder au système nerveux central par les muqueuses nasales.
"Ces propriétés sont d'ailleurs mises à profit de manière positive par l'industrie pharmaceutique en vue d'améliorer l'efficacité de la diffusion du médicament", relève le docteur Howard. Mais ces mêmes propriétés pourraient s'appliquer à des nanoparticules "non invitées" provenant de la pollution ou des produits manufacturés, ajoute-t-il.
Les nanoparticules insolubles sont toxiques
Les études et essais visant à préciser l'action des nanoparticules sur le corps humain sont de plus en plus nombreux. "Mais il est trop tôt pour tirer des conclusions", indique Marco Martuzzi. Ce que l'on sait déjà, précise toutefois Vyvyan Howard, c'est que "les nanoparticules insolubles peuvent être toxiques et donc potentiellement dangereuses" et il semblerait que leur potentiel de toxicité "soit principalement lié à leur petite taille plutôt qu'au type de matériau dont elles sont faites".
Des effets néfastes liés à l'utilisation des nanotechnologies peuvent donc être anticipés, se traduisant par des pathologies pour l'homme : maladies dégénératives, respiratoires ou vasculaires, cancers, altération des réponses immunitaires, mésothéliome…
Des évaluations des risques très difficiles à mener
"Les autorisations existant pour l'utilisation de matériaux supérieurs à l'échelle nanométrique ne devraient pas être étendues à la production à l'échelle nanométrique sans conduire au préalable des évaluations des risques spécifiques visant à prendre en compte les propriétés toxicologiques de ces produits", conclut Vyvyan Howard.
Le souci, c'est que les évaluations de risques se révèlent très difficiles en la matière, précise Marco Martuzzi. Il faut en effet tenir compte de multiples paramètres : mobilité des particules dans le corps, interactions éventuelles avec d'autres agents, large spectre de conséquences possibles…. "Une évaluation comparative des dangers avec les approches alternatives est en revanche possible", indique le représentant de l'OMS.
En tout état de cause, il ne faut pas attendre de tournant scientifique en matière de nanotoxicologie. "Tout est affaire de gouvernance", ajoute Marco Martuzzi, pour qui il faut identifier les priorités. Il s'agira, par exemple, de mettre l'accent sur les niveaux d'exposition occasionnés par les produits les plus répandus, comme les écrans solaires. Et établir une sorte de bilan coût-avantages entre les avancées permises par ces nouvelles technologies et les coûts qu'elles représentent pour la santé.
Fonte: Actu-Environnement